mercredi 23 novembre 2011

Drive, "there's something inside you, it's hard to describe"

Le synopsis d'après Allocine

"Un jeune homme solitaire, "The Driver", conduit le jour à Hollywood pour le cinéma en tant que cascadeur et la nuit pour des truands. (...) la route du pilote croise celle d’Irene et de son jeune fils. Pour la première fois de sa vie, il n’est plus seul.
Lorsque le mari d’Irene sort de prison et se retrouve enrôlé de force dans un braquage pour s’acquitter d’une dette, il décide pourtant de lui venir en aide. L’expédition tourne mal…
Doublé par ses commanditaires, et obsédé par les risques qui pèsent sur Irene, il n’a dès lors pas d’autre alternative que de les traquer un à un…"

     Le scénario peut sembler faible au premier abord, les détracteurs du film y voient un objet long et ennuyeux sans véritable moteur. (le comble quand on s'appelle Drive)  mais il se révèle extrêmement bien construit. On pourrait probablement trouver plus riche ou subtile ailleurs mais il permet ce qui à mon sens est l'élément premier pour un film réussi : l'harmonie. Oui, l'harmonie entre l'écriture et tous les aspects de la réalisation, c'est-à-dire que le talent des acteurs, la musique (que ce soit une bande originale ou des morceaux soigneusement choisis), etc se fondent en un ensemble cohérent et porteur d'émotions.


     
     On notera donc des éléments plus ou moins évidents, partons de l'analogie entre le personnage principal et le scorpion. Lorsqu'il sort de l'ascenseur après avoir littéralement démoli un de ses poursuivants, la caméra le montre de dos, sa veste sur laquelle est dessinée un scorpion remue sous le souffle du vent. L'animal semble prendre vie, notre "driver" s'animalise de plus en plus pour devenir un véritable prédateur. On remarque qu'il n'utilise jamais de revolver, il se défend toujours à mains nues ou à l'aide d'outils divers tels qu'un marteau. Les objets pointus nous rappellent le dard du scorpion, au lieu d'être un simple moyen ils deviennent le prolongement de sa force. La dernière partie du film, la plus violente est celle qui se consacre à la mue de notre héros, celui-ci revêt une nouvelle peau avec son masque de cascadeur, c'est ainsi qu'il tue un homme dans l'eau. Cette fois la métaphore animale apparaît à travers la figure du requin, le plus grand prédateur marin. L'animal est également récurrent, on se rappelle d'une scène quasi programmatique au début du film où il regarde, en compagnie du fils d'Irène un documentaire sur les requins. Il demande s'il existe des gentils requins... Cette question marquera l'esprit du spectateur, sa réponse demeurera en suspens. On apprécie ce héros violent, il est le gentil de l'histoire mais la violence, par sa gradation peut choquer autant qu'elle fascine...


     De façon plus subtile, le scénario est la clé d'une des dernières scènes. En effet, on croît le personnage principal mort, immobile il repose devant son volant, les yeux ouverts. On espère le voir cligner des yeux mais la scène se prolonge nous rappelant le regard vide de Marion dans "Psychose", c'est à cet instant qu'on devrait se rappeler d'une conversation anodine entre le "driver" et le jeune garçon d'Irène, au début du film. Ils s'observent et il lui dit : "Tu as cligné des yeux." Ce petit jeu où le perdant est le premier à cligner des paupières révèle la capacité du héros à se maîtriser quand il le faut et à garder son sang froid, tel un requin effectivement. Il parvient ainsi à garder les yeux ouverts bien plus longtemps que la plupart des gens, ce qui est vérifié par la suite, ces yeux se ferment, il est vivant. Symboliquement, on peut considérer qu'une partie de lui-même est morte puisque la vie est symbolisée par des yeux qui se ferment, comme s'il lui avait fallu pour survivre sacrifier son humanité.

     Cette maîtrise, celle du conducteur est omniprésente. Ses aptitudes à l'auto-défense, son instinct de survie se révèlent de manière anticipée quand il s'amuse avec sa voiture avec Irène. La scène se répétera plus tard, en d'autres circonstances, nous dévoilant un plan presque semblable. Ces figures presque artistiques lui sauveront la vie, c'est pourquoi il se comporte toujours en conducteur, on ne nous le montre jamais autrement, on ne peut d'ailleurs l'appeler que "driver". Les mouvements de caméra, très fluides donnent l'illusion d'une conduite, toujours en mouvement il semble lui même toujours au volant d'une voiture. Cette dernière est en quelque sorte le prolongement de son être, il se comporte dans la vie comme il conduirait une voiture. Son métier n'est pas seulement sa fonction mais son essence. Parfois la caméra donne l'impression qu'il est suivi par une force invisible, comme si son destin le rattrapait, ce poids pèse constamment sur ses épaules et ajoute une tension supplémentaire au film.

     Cela se manifeste également par sa passion avec Irène. Carrey Mulligan est d'ailleurs parfaite, elle possède une certaine beauté silencieuse (on se rappelle de Never Let me go), et les silences sont justement bien placés, en écho aux jeux d'ombre et de lumières, tout prend donc place de façon mesurée. Cela laisse bien entendu le champ-libre aux regards qui s'épanouissent par l'intermédiaire des acteurs, excellents. L'amour ou la passion (cf les paroles de "Under your spell" de Desire ) n'ont donc pas besoin d'être dits et ne le sont jamais. Si les dialogues sont relativement peu présents, les voix des personnages s'expriment davantage à travers les chansons soigneusement choisies. Elles ont des sonorités électroniques, obsédantes, on peut considérer que ce sont elles et leurs paroles qui dévoilent l'âme des personnages. La passion silencieuse d'Irène se déploie alors dans toute sa force par leur intermédiaire ou par l'intensité du regard comme nous l'avons vu précédemment. La jeune femme n'a pas de rôle direct dans cette histoire, elle ne peut qu'être passive et subir les évènements. Si l'on peut être déçu de sa faible présence dans la seconde partie du film on remarque l'intérêt de son effacement, de son impassibilité. La calme extrême du personnage contraste avec la tension du film, palpable de la première minute à la dernière. Cette opposition de la force et de la sérénité est remarquable, on peut également y trouver l'antithèse entre essence et apparence.


     Notre "driver", n'ayant ni nom ni prénom incarne à merveille la figure de l'autre qui pénètre dans une vie et la bouleverse. Il s'agit de l'autre qui fascine mais aussi celui qui représente un danger. C'est précisément ce qu'il constitue face à Irène même s'il agit pour la protéger, c'est pourquoi leurs échanges sont toujours aussi captivants, ils renferment une sorte d'insoluble mystère qui procure au spectateur une forme d'attirance autant qu'aux personnages. Notre cascadeur, par essence, animal solitaire se met justement à rêver de ne plus être seul, il semble que cela soit pourtant la seule condition qui puisse l'attendre, comme si le destin l'y contraignait. Ce n'est qu'à la fin du film qu'il accepte cet état et renonce à ses espoirs de vie avec la jeune maman, il accepte totalement son identité et la solitude qui en découle. Sa transformation s'est achevée et c'est par amour, c'est-à-dire le sentiment le plus humain qui soit qu'il renonce à la normalité. Le film s'achève ainsi sur un paradoxe, nous laissant quelques minutes dans le silence du générique...

    Ce sont pour moi, toutes ces raisons qui font de Drive un des meilleurs films de l'année, un film qui fait d'ores et déjà partie des classiques du cinéma américain...



 "there's something inside you, it's hard to describe" paroles extraites de "Nightcall" deKavinsky