vendredi 25 février 2011

Match Point en quelques sets

[Attention : cet article s'adresse aux personnes ayant déjà vu le film.]

J'ai eu un peu de mal à sortir cette critique, je dois l'avouer, je ne savais pas vraiment par où commencer. Mais je crois que c'est précisément parce que Match Point est un film réussi que le thème, la réalisation, la BO, le scénario se mêlent subtilement sans qu'on puisse en retrouver les coutures. Ce n'est pas l'assemblage d'un puzzle dont il suffirait de mettre en évidence les différents aspects. La première fois que j'ai vu Match Point, j'y ai vu un film dérangeant sans en saisir la dimension.  C'était comme effleurer la surface d'un film sans y pénétrer. Après revisionnage, je pus en tirer quelques réflexions.


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Chris tente de s'élever socialement et de s'intégrer dans un monde bourgeois, il en accepte donc tous les rituels dont la chasse, les dîners, ... La visite du musée d'art contemporain me rappelle les romans de Balzac et leur fameuse ironie à propos de la vie bourgeoise. L'un d'entre eux mettait également en scène la visite d'une galerie d'art, les personnages ne s'y intéressaient pas réellement, ils continuaient à parler de leurs problèmes quotidiens en s'extasiant de temps à autres devant un tableau. Ce type de sortie, c'est chic et tendance, "the place to be" pour Chloe et sa famille... On demande à Chloé comment va Tom, elle répond "Il va bien(...) Ils ont bébé." Il s'agit des étapes de la vie, prédéfinies par lesquelles elle doit absolument passer, se marier, avoir un bébé. Cela devient une véritable obsession, elle en parle sans cesse.

L'expression "J'en veux un à moi" sonne comme une marque de possession, il s'agit d'augmenter le nombre des ses propriétés privées. Tout semble organisé préalablement, on ne note aucune place pour la spontanéité, cette mécanique bourgeoise est bien huilée et rien ne peut l'arrêter, on le constate davantage encore après la mort de Nola, on s'attriste de la nouvelle et la vie reprend son cours.

Chloé est un personnage très bavard, tant qu'on pourrait qualifier ses discussions de babillage creux et inutile (combien de fois vous êtes vous retrouvé devant ce genre de personne,  elle vous parle... vous parle sans que rien ne vous touche véritablement et que tout, toujours vous ennuie profondément) néanmoins elle apparaît comme un personnage sincère, gentil qui n'a pas su s'affranchir de son éducation et briser cet embrigadement social. C'est en observant Chris que l'on constate à quel point cette société peut mener à l'hypocrisie. D'ailleurs, lui et Nola ont le même parcours, ils ne sont pas amoureux de leurs époux, tout semble faux, cette vie en société n'est qu' un simulacre de vie, un jeu fondé sur les apparences. Avec Chris, le personnage central, pas de questions existentielles ni de longues discussions, tout passe par le regard que la réalisation porte à merveille. Dans ce film le dit est insignifiant tandis que le non-dit, voire l'interdit constitue la cœur de l'histoire.


                Nous sommes habitués au schéma traditionnel du crime passionnel : le mari qui tue sa femme pour vivre avec son amante mais Woody Allen inverse la donne, il nous laisse quelques temps dans l'incertitude mais finalement Chris passe à l'acte.  Ensuite il suffit de faire comme si tout était normal au téléphone alors qu'il est brisé, il pleure. (Ce film, je le trouve brillant. Dérangeant mais brillant !) Elle est un obstacle à son programme, il doit donc l'éliminer, cela suit une pensée froide et rationnelle mais il n'est pas une machine ou un automate, il ressent la passion. Il tentera de la faire taire, comme si vivre dans l'illusion pouvait changer la réalité. Il élimine les obstacles, les sentiments sont des obstacles mais il l'aimait, j'en suis sûre.  On pourrait donc qualifier les deux meurtres de folie rationnelle, croire que l'homme peut se soumettre totalement à une raison froide, implacable en ne ressentant plus d'émotions humaines est finalement une pensée naïve. De ce point de vue on pourrait presque considérer Chris comme victime de ce jugement, il devra vivre avec ses actes, ou se suicider.* (La première fois que j'ai vu le film (de façon superficielle je dois l'avouer), j'ai pensé "quel salop" mais maintenant  ce personnage me touche assez. )

"Ça ne suffit pas !  Mais Nola, soit raisonnable " Au premier abord on peut penser que la raison vainc l'amour mais la scène finale nous suggère l'inverse.

"la différence entre l'amour et la luxure" Chris tente de rationaliser sa passion pour Nola en parlant de luxure mais en vain...

Ainsi avec Match Point naît un nouveau genre...Exit les crimes passionnels, bienvenue les crimes rationnels !



"Y en a vraiment qu'ont pas de chance." Déclaration du témoin, la notion de chance ou de hasard est finalement omniprésente. Évidemment, cela sonne amèrement aux oreilles du spectateur, on sait que le crime a été soigneusement prémédité mais l'ironie se retourne plus tard contre le personnage principal, son destin est lié au rebond de l'anneau jeté dans la Tamise ! A la fin, évidemment on a envie qu'il se fasse arrêter (parce que... quand même, celui-là quel beau salop ! ), notre éducation, notre moralité naturelle nous dresse contre le mensonge, il nous est insupportable, on veut que cela cesse. D'autant plus qu'on connaît l'erreur commise, on pense qu'il se fera arrêter à cause de la bague, cela rend la tension d'autant plus forte.

Chris est définitivement seul face à lui-même, face à sa conscience. Quand elle parle et qu'il a des hallucinations ( lorsque ses deux victimes lui apparaissent), il répond "les innocents sont parfois sacrifiés pour de plus grandes causes, vous avez été un dommage collatéral." Il tente encore de rationaliser la situation mais son esprit n'est pas fait pour supporter une telle pression, il en vient à espérer d'être découvert, à espérer la justice.

"Prépare-toi à payer le prix." Ne pas avoir lancé l'anneau suffisamment loin résonne comme un désir inavoué d'être finalement appréhendé d'ailleurs il dit à sa conscience "Il conviendrait que je sois appréhendé." Il espère que la justice le punira mais ce ne sera pas le cas, ainsi la société mais aussi la vie perdront leur sens et deviendront un vain manège, ou un simple terrain de tennis.

Ne pas être arrêté voilà la pire des défaites, car il devra vivre avec sa culpabilité. La justice n'est pas faite, il a été fort, il le sait et c'est encore pire parce qu'il sait désormais que rien n'a de sens. Cette société, cette vie, il l'a désormais, il la connaît et il en perçoit la vacuité, et c'est trop tard. Seul face à lui-même il doit vivre éternellement avec la voix de la culpabilité. Il continue toutefois à vivre, comme si rien ne s'était passé mais on devine qu'une partie de lui-même est morte,  il n'est plus qu'un corps bourgeois qui se meut dans un terrain de jeu. Chris semble avoir tué son essence,  son intériorité en assassinant son amante, il ne reste plus de lui qu'une enveloppe forgée de mensonge.  "N'est-il pas évident ...?" demande-t-il à l'inspecteur de police. Il s'agit donc de juger les apparences, les détails qui frappent notre œil. A force de vivre dans la mimesis il semble donc qu'il ait fait disparaître ce qu'il y avait de plus vivant en lui.



                Chris évolue dans un malaise constant, plus le film avance plus on ressent cette pression interne. Dans son bureau, il fait une crise d'angoisse, il se sent de plus en plus oppressé, véritablement écartelé entre ses projets et son amour pour Nola.  Ainsi pris au piège il développe en quelque sorte une claustrophobie grandissante. Il ne peut pas dire ce qu'il a sur le cœur, il ne peut agir selon ses désirs, quand il va en ce sens un blocage se produit l'emprisonnant dans sa vie, tout lâcher lui est impossible, d'où la suffocation. Ainsi il ne pourra jamais parler vrai. "As-tu une liaison ?"lui demande Chloe Il répond froidement "Non." L'âme de Chris semble déconnectée de son âme. Rien ne peut changer ce fait, sa vie est conditionnée, tout ce que lui et Nola ont pu envisager ne verra jamais jour. "Qu'est-ce que je vais devenir ?" Cette phrase dénote de la peur de l'inconnu. "Pourquoi ? Pour vivre comment ? Où ?" Il se sent paralysé dans sa propre vie, il ne peut pas en changer et tout risquer pour une passion, siège de l'irraisonnable. Ces angoisses sont croissantes, au téléphone il ne peut même plus répondre, aucun son ne sort de sa bouche. Ce film, sa vie semble maintenue dans le terrible étau du destin, il ne peut y échapper quoi qu'il fasse, quoi qu'il pense, c'est terrifiant en fait. Chris est condamné à s'enfoncer dans le mensonge, jusqu'à commettre un acte irréversible. "tout ça me ronge" Finalement , ce qui terrorisait le plus Chris était ce caractère irréversible, or en
commettant un double meurtre il y plonge et se condamne...

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Le parallèle est évident entre la vie de Chris et un match de tennis. Le premier trait remarquable du personnage est son ambition. Il mène sa vie comme un match, ses rencontres sont pour lui semblables à des balles qu'il lance en vue d'un certain but. Même si ça ne lui plaît pas il fait ce qu'il croit nécessaire, comme au cours d'une guerre, c'est ce qu'il montrait par sa déclaration tranchante mentionnant les dégâts collatéraux.


"C'est toujours impressionnant de voir comment la vie change selon que la balle passe d'un côté ou de l'autre du filet."

La structure narrative parfaite car la musique et la réalisation ne la portent pas non, elles en sont partie intégrante.  Chaque détail peut donc nous aider à comprendre le film, chaque détail mène au dénouement.

"Celui qui a dit je préfère la chance au talent avait un regard pénétrant sur la vie. Les gens n'osent pas admettre à quel point leur vie dépend de la chance. Ça fait peur de penser que tant de choses échappent à notre contrôle."

"Dans un match de tennis, il y a des instants quand la balle frappe le haut du filet où elle peut soit passer de l'autre côté, soit retomber en arrière. Avec un peu de chance, elle passe et on gagne ou peut-être qu'elle ne passe pas et on perd..."

L'anneau joue le rôle de la balle de tennis. Le scénariste surprend le spectateur, on croyait qu'il perdrait Chris, mais c'est justement lui qui l'innocente. Au début du film, Chris avait déclaré de façon annonciatrice qu'un détail pouvait tout changer. Ainsi sa vie est due au hasard, tombé à l'eau Chris aurait été arrêté mais on comprend que finalement la vie sera un supplice bien pire.

La musique guide aussi la narration, la BO sublime est entièrement composée d'opéra, elle est la seule voix lyrique du film, elle constitue l'âme de Chris mais aussi sa conscience, la dernière image ne présente qu'un regard, un regard vide hanté par un air...


             
La musique a un autre rôle, elle commente les images, comme du temps des tragédies grecques où le chœur ne pouvait que plaindre des personnages victimes du destin. On se dit que Chris aurait pu tout quitter, renoncer à la gloire l'argent, laisser l'entreprise, continuer une vie modeste avec ses cours de tennis et vivre avec Nola mais à chaque fois qu'il semble engager sur cette voie une force invisible l'en empêche. "Il le faut." Cette notion de devoir guide le film, Chris s'impose des règles auxquelles il ne peut échapper. Il est pris comme dans un engrenage, il se sent piégé. Après avoir tué Nola, il en vient à espérer d'être découvert, qu'un élément extérieur le traduise en justice mais rien ne se produit. Il est en quelque sorte condamné par son propre destin  à vivre avec sa conscience.  Cette notion est je pense primordiale, on a la sensation que l'histoire ne pouvait se dérouler autrement pour Chris, ce qui nous plonge dans le fatum latin.

Avec Match Point, on sait dès le début que le film s'achèvera sur une note sombre mais l'on ignore comment. C'est inéluctable, on se dirige vers la défaite d'un match sans rien pouvoir y faire. D'ailleurs Chris n'hésite pas, il est bouleversé avant même de tuer Nola mais il ne songe pas une seule seconde à renoncer, c'est ce qui rend le personnage si complexe. Le personnage principal (Chris Wilton), cite Sophocle : « Ne jamais être né est peut-être le plus grand bienfait ». On sait qu'il ne mourra pas et que la plus grande souffrance pour lui sera la vie, se mouvoir dans une société en laquelle il ne croît pas, profondément injuste, vide, superficielle sans amour et hanté par le remord.



*Certains s'attendaient au suicide de Chris à la fin du film.  Les dernières minutes l'annoncent peut-être. En effet, un titre de la BO est issu de McBeth, or lady McBeth est un personnage hanté par le remords après le meurtre de Duncan, elle sombre alors dans la folie et finit par se suicider. Mais ceci n'est qu'une spéculation, la fin ouverte possède une puissance remarquable, et ne pouvait selon moi être davantage réussie.

samedi 12 février 2011

NCIS, le reflet des Etats-Unis. Les raisons du succès.

NCIS est très souvent critiquée pour son manque de profondeur, la lente évolution de ses personnages, ses intrigues routinières et ses astuces pour toujours gagner plus d'audience. (je ne parle pas du spin-off, on s'est bien compris...) or, celles-ci n'ont jamais été si bonnes. Pourquoi ? J'ai décidé après avoir débuté la saison 8 de chercher les points forts de la série. Retour sur un cop show culte...

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On ne peut véritablement s'intéresser à NCIS qu'en considérant la série de manière générale. Pour cela il faut donc étudier son évolution globale. Elle se meut en adéquation avec l'évolution de Etats-Unis, comme le montrent les nombreuses références au cinéma américain (par l'intermédiaire de Tony qui ne manque pas de citer ses classiques favoris) c'est une série très traditionnelle qui illustre les valeurs de la puissance mondiale. Si on grossit les traits, on peut dire que les Etats-Unis possèdent deux moteurs : la guerre et le cinéma, ce que NCIS représente parfaitement.   Je pense qu'il faut pour comprendre la série, l'éclairer par le western. D'ailleurs cette filiation apparaît clairement lorsque Gibbs et Franck s'aventurent au Mexique et lors du dernier épisode de la saison 7 on nous apporte la représentation typique du cowboy solitaire, avec son chapeau et son cheval. On apprend assez tôt que Gibbs a fait justice lui-même pour venger le meurtre de sa femme et sa fille, c'est le fondement du cow-boy hollywoodien. Cela ne choquait pas jusqu'à la guerre en Irak mais depuis le pays s'est interrogé sur lui-même jusqu' à se remettre en question, on note également que l'accès de Barak Obama au pouvoir a apporté de nouveaux éléments sur le petit écran. Il s'agit bien d'une nouvelle représentation des Etats-Unis. Lors de l'épisode 16 de la saison 7 (Flash-back), Gibbs et sa belle-mère s'accordent sur un point : ils n'éprouvent aucun remord après la vengeance. Voilà la stature de l'ancienne Amérique mais les épisodes suivants nous montrent les conséquences dramatiques que peuvent avoir ces actes.  La vengeance peut aboutir à une vendetta, si elle est compréhensible de la part d'un être humain elle est irresponsable venant d'un état ou d'une institution incarnant la justice.  Or, cela a probablement contribué à lancer la guerre en Irak. Le directeur  du NCIS le dit, il ne veut plus fermer les yeux sur les actes de Gibbs. Le personnage toujours admiré et élevé en héros lors des saisons précédentes a fait des erreurs, ainsi il ajoute à sa fameuse liste une leçon de vie, la cinquante et unième : "Sometimes- you’re wrong." (Parfois tu as tort) Cette saison 7 marque ainsi un tournant capital dans l'histoire de la série.  Jamais auparavant on ne s'était positionné du côté de l'agresseur. Le terroriste était le méchant, les Etats-Unis représentaient la justice, aucun remord n'était justifié car Gibbs était toujours dans son bon droit. Depuis l'histoire du cinéma américain on retrouve cette caractéristique, le bon peut transgresser la loi, il peut tuer s'il respecte une certaine éthique. Dans les western,  c'était déjà le cas de John Wayne incarne dans la Chevauchée fantastique un criminel mais un héros criminel ! Il suit ses propres codes moraux et l'on s'attache rapidement au personnage. Ces codes apparaissent bien dans NCIS sous la forme de la Liste de Gibbs. Abby, symbole d'une Amérique moderne anti-conservatrice, est d'ailleurs choquée de cette vérité. Malgré son amour inconditionnel pour Gibbs, le mythe qu'elle en avait dressé est écorné. Le changement est donc marqué par l'arrivée des Mexicains, on se penche sur les enfants de l'homme tué par Gibbs. On découvre un frère et une sœur, de grandes menaces qui sont toutefois humanisées par le lien fraternel qui les unit en début de saison 8. Par conséquent, la mort de Paloma n'est pas une victoire mais une défaite.

Gibbs est le personnage central de la série, je ne pense pas que les audiences seraient si bonnes sans lui.  Le personnage est vieillissant, les États-Unis commencent seulement à éprouver le passage du temps, étant une nation très jeune ils ne s'étaient jamais véritablement tournés vers le passé et remis en question mais presque 10 après les attentats du World Trade Center, après la guerre d'Irak et enfin l'élection d'Obama il doivent définir de nouveaux repères. Je vois donc en Gibbs l'incarnation de l'Amérique, une Amérique fière de génération en génération comme en atteste le passage en relai du surnom " le bleu". L'Amérique est jeune, le bleu c'est l'Amérique. De Franks à Gibbs, de Gibbs à Tony, de Tony à McGee.

Si l'on s'interroge sur le statut de la femme on note également une belle évolution, le personnage de Cate était amusant lors de ses joutes verbales avec Tony mais il avait été très peu approfondi. Elle n'était qu'un pion scénaristique, sa psychologie étant trop peu détaillée. Evidemment il ne s'agit pas de faire du Woody Allen ou des réflexions métaphysiques mais comme le dit justement la scénariste Nathalie Lenoir il est important qu'un auteur donne forme, pour lui-même à l'esprit de son personnage. * Même si cela ne ressurgit pas directement,  le téléspectateur devinera ainsi sa profondeur. Evidemment NCIS n'est pas la série la plus représentative de ce phénomène mais la "nouvelle génération" est marquée par Ziva David or ce personnage nous révèle beaucoup sur les Etats-Unis, sur les rapports monde arabe/Israël.  Mais on s'intéresse aussi à elle hors du cadre militaire, je me souviens d'un épisode relativement émouvant où elle tombe amoureuse d'un Marine mourant. Elle n'apparaît plus en tant que super soldat du Mossad puiqu'ils se connaissent grâce au quotidien le plus banal : leur footing matinal. On quitte définitivement la représentation désuète de la femme. En effet, Ziva est forte et indépendante, on devine parfois sa sensibilité mais la série exclue tout mouvement vers le pathos.  Il semble d'ailleurs qu'à chaque pas vers l'histoire d'un personnage, les scénaristes reculent comme effrayés par cette intrusion du sentiment. Tout n'est qu'allusion et il serait probablement une erreur de modifier la "recette NCIS", ainsi les scénaristes se contentent d'apporter de saison en saison un relief supplémentaire. Par exemple lorsque Ziva et Tony sont à Paris, le doute plane, ont-ils eu une relation ? Cela contribue bien entendu au duo comique et renforce les audiences mais j'y vois une illustration de cette barrière. Les scénaristes ont peur d'aller vers le sentiment, ils les tournent d'ailleurs souvent en dérision. (on retrouvait cette particularité dans JAG, la série-mère de NCIS) Si l'on ajoute les cadavres vus sous tous les angles, les explications "scientifiques" de Ducky, la froideur de Gibbs, mais aussi de Ziva on peut se demander s'il n'y a pas là un rejet du rêve américain de base, comme s'ils n'y croyaient plus comme si ce n'était plus crédible de s'engager sur ce terrain. Alors on fait machine arrière, après une intrigue relativement intéressante on retourne au degré 0 de la série: les enquêtes routinières, les blagues de collègues, les idioties de Tony et les tapes sur la tête de Gibbs. Hey, ce n'est qu'une série, un show rien n'est important, tout est faux. Et pourtant...


* "Sinon, c’est vrai que quand j’évoque ce besoin de fouiller dans les méandres de la psyché humaine pour créer un personnage il est bien entendu que cette petite cuisine interne doit le rester, on ne peut pas dispenser un cours magistral au spectateur, qui s’en fiche et il a bien raison. Je suis persuadée, en revanche, que si un auteur connait l’inconscient de son personnage de façon intime, il le rendra bien plus riche, crédible, multidimensionnel comme disent les ricains, au moment de le faire participer à l’intrigue." Nathalie Lenoir sur Scénario Buzz

mercredi 9 février 2011

The Truman show

Dimanche dernier, France 4 diffusait The Truman show, un film de Peter Weir sorti en 1998 dont le rôle principal est interprété par Jim Carrey. Je ne connaissais le film que de nom mais Sebmagic et un ami qui se reconnaîtra m'ont incitée à le regarder (rappelons que Sebmagic n'a pas encore rempli sa part du marché consistant à découvrir Ken Loach avec Le Vent se lève...!) Tentons une approche du film en quatre thèmes...
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Téléréalité
The Truman show relève d'une quête impossible : accéder pleinement à l'altérité, cerner son essence au lieu de son image.

Les mouvements de caméra, les zooms suggèrent dès le début une émission de télévision,  les téléspectateurs sont dans un bar, dans leur salon ou dans leur baignoire et ils observent de façon malsaine le quotidien d'un homme. Mais d'où vient ce besoin d'observer autrui ?  Pourquoi  Truman est -il le centre d'une telle fascination ? On découvre une volonté de savoir qui est réellement l'autre, le voir en toute sincérité, découvrir une intimité inédite. En effet comment être sûr que nous pensons de la même façon, comment être sûr que l'autre nous est semblable ? Notre comportement en société est un jeu, ainsi Truman salue tous les matins les mêmes personnes sur un ton théâtral. Mais les téléspectateurs sont d'une curiosité maladive concernant son intériorité, c'est pourquoi  la scène où Truman délire dans sa salle de bain est si précieuse. Le ridicule témoigne de sa sincérité, ils sont enfin sûrs d'être semblables à lui puisqu'il se croît seul. C'est le principe du voyeurisme et d'ailleurs le film nous aide à comprendre l'engouement actuel pour la téléréalité, il s'agit à l'origine de voir évoluer des individus dans une certaine spontanéité.  Cela permettrait d'en saisir l'essence et non plus seulement l'image. Mais cela est fondamentalement impossible puisque nous jouons tous un rôle en société.  Le thème me fait penser à Acide sulfurique d'Amélie Nothomb (Le cadre du roman était un camp de concentration qui servait de décor à une émission de télé-réalité) où toutefois l'accent était mis sur la folie des hommes.  Pour véritablement lier les deux œuvres, il aurait fallu que Truman meurt sur le bateau.
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Dieu
The Truman show relève d'une utopie humaine où l'homme pourrait se substituer à Dieu et créer un monde parfait.

Intéressons-nous maintenant au créateur du Truman show. Il s'agit de créer un monde parfait où la pelouse est bien tondue, où les voisins se disent bonjour tous les matins, une petite ville de play-mobile.  Chaque individu est un jouet positionné par le créateur de l'émission, on ne construit plus du rêve à partir de la réalité mais du réel à partir d'une utopie. Ainsi  l'illusion et la vérité se mêlent, le scénariste construit de la vie tel Dieu.
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Tous les clichés de notre représentation d'un être supérieur sont d'ailleurs présents dans le film, de la voix qui surgit du ciel à l'entité omnisciente perchée dans les nuages ou l'univers. (le fond du studio représentait d'ailleurs la lune) On découvre rapidement que ce monde idyllique ne peut être véritable, les serveuses du bar correspondent à un monde bien plus probable. Ce monde parfait est sécurisant mais il n'est pas souhaitable, tout homme doit éprouver du désir pour vivre. Ainsi Truman s'y sent incomplet. Le monde réel comporte bien du mensonge et autres turpitudes mais la figure de Maria se révèle comme une terre promise qui justifie les sacrifices. Pour y accéder il faut accepter la l'obscurité de notre société.
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 L'eau
The Truman show symbolise le passage de l'enfance au monde adulte.
Le symbole de l'eau est omniprésent, on le trouve à chaque fois que Truman tente de s'évader de l'île. Comme c'est le cas des mythes anciens au monde récent, elle constitue un lieu de passage vers un autre monde, un espace intermédiaire entre un univers merveilleux,  imaginaire et un autre plus réel. Il est intéressant de constater qu'on ne perçoit que peu ce dernier, il semble ainsi mis à distance, inatteignable. Tout le long du film la quête de liberté anime Truman, il en a désespérément besoin, les Fidji brillent à l'horizon, elles sont sa raison de vivre. Nous avons tous besoin d'un but, d'une lumière qui nous guide et nous motive. Pour Truman il s'agit de rompre la monotonie, de s'évader du quotidien et de réussir enfin à affronter le changement. La peur l'effraie, le paralyse mais la fin nous délivre une lueur d'espoir. Nous ne sommes pas totalement emprisonnés dans notre vie, il est possible de changer au prix de sacrifices considérables.  Effectivement, il semble que reconstruire passe déjà par la destruction . Lors de l'orage en mer, on pense que Truman est mort, étendu sur son voilier il est mort en quelque sorte. Lorsqu'il se heurte contre les parois de son monde, il réalise qu'il existe un espace plus vaste, que tout ce en quoi il croît était un mensonge.  Tout s'effondre pour se reconstruire sur une autre réalité, cela symbolise le passage de l'enfance à l'adolescence. Truman surmonte ses angoisses, Truman perd sa naïveté,  Truman grandit. Il éprouve son libre arbitre avec la scène du rond-point, il peut choisir, il peut changer d'avis, il peut être irraisonnable, faire des erreurs. En une phrase, il est libre et responsable. Peut-être que sortir de son monde est une erreur mais pour la première fois de sa vie, il fait un choix et l'assume avec brio.
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L'Homme et la réalité
The Truman show, une réflexion profonde sur notre relation au monde.

On distingue également une réflexion sur l'être humain, nous sommes tous égocentriques,  on s'inquiète du moindre signe  d'hostilité, du moindre regard, comme si l'univers s'orchestrait entièrement pour notre vie et nous envoyait des signes. Cela rejoint également une interrogation : comment savoir si nous appartenons à la réalité ? Nous n'avons pas de référent autre que notre propre perception subjective. On ignore si l'autre possède la même vision du monde. D'après Berkeley, on ne peut par exemple pas être sûr qu'une cerise existe car elle n'est présente que par les sensations qu'elle nous procure : goût, aspect, couleur, etc. , notions évidemment dépendantes de notre subjectivité. Il n'existerait donc pas de réalité qui nous soit externe. Ces messages nous sont peut-être envoyés directement par un être supérieur, ils n'attestent donc pas de la réalité d'une chose. Or dans The Truman show, cet être supérieur est le créateur de l'émission, ce personnage trompeur peut faire croire à une certaine réalité.
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Pour terminer, je citerai une des premières phrases du film "Il n'y a rien de faux, tout est réel." Cela induit une réflexion sur le cinéma lui-même. Le producteur de l'émission le dit d'ailleurs à la fin, son monde (le notre) n'est pas si différent. Le mensonge y est autant, voire davantage présent que sur l'île car on ne peut pas accéder à une vérité fondamentale du monde. Dans un sens le cinéma, plus généralement l'art le permettrait davantage que la réalité.

Mon avis :

The Truman show est un film bouleversant qui nous apporte une réflexion philosophique sur l'homme teintée de psychologie. Jim Carrey, fantastique entre en harmonie avec la réalisation, les jeux entre son personnage et la caméra donnent forme au thème de fond : les rapports humains. The Truman show est certainement un des meilleurs films des années 90. Mention spéciale pour la BO de Philip Glass, une très grande réussite qui laissera pour toujours en nous une trace de Truman...