vendredi 15 octobre 2010

Morts en séries...

Il me semble que le meilleur cadre pour représenter la mort est un épisode de série TV. Généralement, on s'est attaché aux personnages car l'on  suit leur quotidien sur plusieurs épisodes. C'est donc un format plus proche de notre vie que celui des films. De plus un épisode peut être entièrement consacré à cette perte, sans avoir besoin d'introduire les personnages ou de développer d'autres intrigues. Ainsi on peut entrer soudainement dans le sujet, tout comme le personnage face à la mort.
Or les séries dramatiques sont nombreuses et l'on ne compte plus les personnages tués.
La plupart, même si elles sont bonnes ne se montrent pas très fines dans leur mise en scène de la mort. Certaines peuvent être touchantes, marquantes mais elles ne donnent pas autant forme à la mort.  On a souvent droit à l'enterrement sous la pluie, les regards éplorés, les parapluies et la vie qui reprend son cours. L'ambiance n'est pas si différente des autres épisodes, on nous présente seulement un drame de plus...en revanche certaines séries se sont montrées d'une justesse extrême... Ainsi malgré les dizaines d'enterrements bouleversants, il sera pour moi difficile d'atteindre le niveau de Joss Whedon...
(Il est bien évident que Six feet under excelle dans le domaine puisqu'il s'agit de sont thème principal mais la série mériterait à ce propos un article spécial.)
Voici donc mon classement des trois meilleurs épisodes mettant en scène la mort.
1- The Body (Orphelines)- La mort de Joyce Summer dans Buffy The Vampire slayer.
Lien de parenté : la mère de Buffy [Episode 16 saison 5]
2- Cold Ground (Lourde absence)- La mort d'Adèle Stackehouse (épisode 6 saison 1) dans True Blood. 
Lien : la grand-mère de Sookie [Episode 6 saison 1]
  
3- The Long goodbye (Tchao Bambins) -La mort de Mitch Leery dans Dawson's creek.
Lien : père de Dawson
[Episode 4 saison 5]
 
Les titres originaux The Body ou Cold ground sont les parfaits reflets des épisodes. The Long goodbye est moins original mais très beau... La traduction française est moins judicieuse. (surtout pour Buffy...)
Au delà des différents thèmes abordés, l'ambiance de l'épisode est primordiale, ils nous présentent tous à travers un traitement réaliste (plans, son, couleurs...) une atmosphère particulière inédite. Ce la peut paraître surprenant mais on retrouve presque toujours le soleil presque agressif, le ciel bleu sans un seul nuage et le silence assourdissant. Ainsi on ne peut plus faire appel à la mélancolie ou aux discours pathétiques sur fond de pluie, il faut représenter le choc dans toute son immédiateté. Bref dans ces épisodes peu de grands discours, de larmes ou de lamentations... Toujours le silence... (enfin estimé à sa juste valeur) On découvre ensuite la dimension absurde de la mort qui surgit au cœur du quotidien, celui -ci continue sa route, imperturbable...
Étudions maintenant ces séries...
Dans Buffy The Vampire Slayer, la mort de Joyce ne s'apparente à rien de surnaturel, les personnages sont donc totalement impuissants, cette mort ne peut être analysée ou expliquée. C'est ainsi, c'était écrit dirait Jacques le fataliste. Ils ne peuvent donc en accuser personne, à part Dieu, une instance supérieure. Plus tard, Dawn essaiera de ramener sa mère à la vie, elle ne parviendra qu'à créer un zombie qu'on ne verra jamais afin de préserver l'image de la mère disparue. On ne peut défaire par le surnaturel que ce qui a été entrepris par le surnaturel.
Cet épisode est d'un silence surprenant, très peu de musique, très peu de paroles. Buffy qui rentre chez elle, qui découvre sa mère morte... comme si c'était irréel, hors du temps, d'un réalisme étonnant. Cet épisode est
anthologique. 
Les personnages ne semblent tout d'abord pas si affectés de la mort de leur proche (comme s'en étonnent des secondaires simplets qu'on aurait envie de décapiter !), mais un élément leur fait toujours réaliser la perte subie. Pour Sookie il s'agit de la tarte de sa grand-mère, pour Dawson la voix de son père sur le répondeur. Les réceptions funèbres dans True Blood ou Dawson apparaissent dans toute leur vanité, leur non-sens et leur dérision.
 
Sookie  a besoin de nettoyer le sol, elle éponge consciencieusement le sang de sa grand-mère. (l'horreur commence avec le chat léchant le sang sur le sol) Elle le fait froidement, elle ne ressent strictement plus rien. C'est une réaction bien plus intéressante et réaliste que ce qu'on a pu voir ailleurs.
Buffy dit au téléphone : "C'est ma mère, elle respire pas. Non, elle respire pas. " En réalité elle sait qu'elle est morte mais elle ne peut le dire car ce serait l'admettre, et le rendre réel.
Avec notamment le gros plan subjectif du téléphone, chaque détail ou mouvement est passé au crible fin, chaque son devient important à travers un silence assourdissant. On se retrouve dans une petite banlieue calme, qui continue à vivre. On imagine les personnes âgées dans leur jardin, on s'en rapproche et on entend très vaguement des notes de musique mais on sait que dans la pièce voisine le corps de Joyce est toujours là, les yeux ouverts. Le drame si improbable prend place au milieu d'une maison ensoleillée, au milieu du quotidien le plus banal.
"Giles, venez chez nous, elle est à la maison." et Buffy raccroche.
Avouons qu'il n'y a pas plus dramatique pour le spectateur que la scène imaginée par l'esprit de Buffy : sa mère est réanimée, on assiste à la surprise des ambulanciers. Mais ce n'est qu'un songe. On sait, elle sait qu'il n'y a rien à faire mais on espère toujours qu'une solution surgira, que ce corps inerte pourtant destiné au mouvement se relèvera, que ses pupilles faites pour recevoir la lumière se rétracteront.
Car à l'instant de la mort, le choc n'apparaît que par son aspect irrémédiable. Cette situation de non-retour paralyse le personnage. Buffy imagine sa mère déclarant. "heureusement tu m'as trouvé à temps" mais à partir de la situation qu'elle vit, Buffy sait que ce miracle n'a aucune chance de se dérouler. La vie de Buffy devra donc changer radicalement...
Les lèvres de l'ambulancier s'animent mais les paroles sont détachées de tout sens.
"Je vous présente toutes mes condoléances." Elle répond "Merci". Une formule de politesse, un automatisme. Les mots perdent leur sens, on est totalement déconnecté du monde. Comme physiquement blessée, Buffy est anesthésiée, elle ne peut plus réfléchir ni ressentir autre chose que le vide. Il y a quelques minutes elle parlait encore à sa mère. Elle est encore vivante dans son esprit car le contraire n'est pas imaginable pas pour une personne qui a toujours appartenu à sa vie. Ce serait absurde, comme passer dans une rue qu'on voit tous les jours et découvrir qu'en une nuit tout a changé.
Le corps de Buffy rejette aussi cette situation, elle vomit.
Giles s'approche de Joyce, Buffy panique, lui dit de ne pas y aller, non, il faut attendre. Et elle prononce l'imprononçable. "Il a dit qu'il ne fallait pas bouger le corps". Elle est horrifiée par ces mots. Il n'y a plus sa mère, seulement un corps. Celui-ci bénéficie d'un plan cinématographique. Le Gros plan sur le visage me rappelle Psychose. Ce corps est totalement inerte on entend ses côtes se fêler sous un massage cardiaque inutile. L'être humain devient alors un objet.
Dans True Blood, la tarte est symbolique, c'est le dernier élément qu'il reste de sa grand-mère, un élément vivant car le plat est périssable. Sookie se contient, elle est polie avec les invités, elle ne pleure pas. Très aimable elle remercie, range les plats apportés et reste assise dans la cuisine sereinement. Mais quand une grossière invitée s'empare de la tarte de sa grand-mère, elle hurle. L'objet sacré est profané. Dans quelques jours, Sookie ne pourra plus manger quelque chose préparé par sa grand-mère. (on retrouve cette obsession dans OTH avec Haley qui veut absolument reproduire à l'identique la soupe de sa mère, hélas, cet épisode est trop chargé on ne se concentre pas sur Haley or la mort d'un personnage doit s'étendre sur chaque mouvement, chaque action, ça doit nous posséder). Enfin, Sookie se déshabille, dénoue ses cheveux, c'est comme si elle muait pour trouver une nouvelle peau, véritable métaphore du travail de deuil. Elle quitte ainsi le monde réel, son passé, son enfance rassurante pour un monde adulte, étrange surnaturel, parfois inquiétant celui de Bill et des vampires.
Dans Dawson's creek, je me souviens surtout du héros parfaitement poli avec les invités, aidant toujours sa mère, répondant à toutes les sollicitations. comme Sookie, au début de la réception. (une grande mascarade hypocrite, écœurante et insignifiante à Bon temps ce qui  est moins marqué chez Dawson qui possède des amis réels, amis réels qui sont pourtant eux aussi bien insignifiants comparés à la mort, impériale et toute puissante)Le répondeur se mettant en route est un passage plutôt cruel. C'est à ce moment que Dawson craque... Pour le reste on observe moins de violence psychologique mais la réaction du personnage est abordée à de nombreuses reprises durant la saison, on le voit dans un  long travail de deuil. Ce n'est pas résolu en deux épisodes, comme par magie. Quand on croît que tout a repris son cour, on revient sur Dawson  et Mitch.
Bref, dans ces trois séries on commence par une atmosphère  calme, un soleil rayonnant. Puis les personnages montrent un certain détachement, marque du déni ou de l'auto-anesthésie. Le vide nous emporte alors dans sa chute jusqu'au moment où un élément nous ramène à la cruelle réalité. Cette réalité ne nous est pas étrangère car Buffy TVS ou True Blood ont eu l'intelligence de situer ces drames dans un plan non surnaturel. Pour Sookie, il faudra néanmoins trouver l'assassin de sa grand-mère (un humain sans aucun pouvoir) on se situe donc dans une bataille contre le mal, dans un décès motivé. (par une folie meurtrière mais tout de même motivée) En revanche Buffy et son entourage n'ont aucune enquête à réaliser, on réalise que cette bataille est pour Buffy bien plus dure que celle contre les vampires. Ici, rien n'est ni bien ni mal. Mitch a eu un accident de voiture, ce qui le détache légèrement de la fatalité. Chez Dawson on étudiera davantage le deuil, la mort est moins condensée dans l'épisode. C'est pourquoi le décès de Joyce restera pour moi le plus perturbant et réaliste des épisodes mettant en scène la mort. C'est ce qui fait de Buffy TVS une série d'anthologie.
La vidéo :



P.S Je conclurai en ajoutant un exemple à ma petite théorie : à la télévision les meilleurs morts ou enterrements sont ensoleillés !

Voici donc les dernières heures  de Jen Lindley dans le final de Dawson's creek. (toujours un grand soleil !!). Un épisode que je devais au moins évoquer...

Quant aux décès marquants de personnages, Allocine en a cité quelques uns sur cette page (quel euphémisme, ils en ont recensé 55 !) Les morts les plus marquantes.
L'accident de Marissa dans The OC (Newport Beach) est un moment mémorable, pour une fois Halelujah de Jeff Buckley est utilisée à bon escient. Si mes souvenirs sont bons, on n'assiste pas à
l'enterrement... (on passe quelques mois entre la saison 3 et la saison 4) La mort de Mark Green dans
Urgences était également des plus émouvantes, un épisode très réussi.